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Biofeedback de cohérence cardiaque et biofeedback de cohérence émotionnelle

Interview du Docteur Dominique Servant
Une fenêtre ouverte sur les émotions


Qu’appelle t-on variabilité de la fréquence cardiaque ?

Dr. Servant : La variabilité de la fréquence cardiaque, aussi appelée variabilité du rythme cardiaque, est une mesure, obtenue à partir d’un signal cardiaque, qui va donner des renseignements très intéressants sur l’adaptation du cœur aux changements face aux stimulations extérieures stressantes.

Ces modifications surviennent à la fois lors de changements de notre tension artérielle, de notre respiration (par exemple lorsque nous respirons plus ou moins vite), mais aussi lors d’émotions ou de messages reçus comme les stress qui sont transmis par le cerveau à l’ensemble de notre organisme.

Comment se fait-il que l’on obtienne toutes ces informations ?

On parle d’ouvrir une fenêtre sur le coeur pour comprendre à la fois la réaction de notre corps et de notre mental au stress et aux émotions. Très simplement, il existe au niveau du cœur comme une pile que l’on appelle le nœud sinusal d’où partent tous les faisceaux nerveux qui innervent le cœur et lui permettre de se contracter et donc de battre. Ce nœud sinusal est le pace marker naturel du coeur. Celui-ci est sous contrôle du Système Nerveux Autonome que l’on nomme communément SNA.

Qu’est-ce que le SNA ?

Alors j’y viens...Le système nerveux autonome est une partie du système nerveux qui régule toutes les activités automatiques de notre organisme ne demandant pas forcément une action volontaire. C’est ainsi le cas de la fréquence cardiaque, la respiration, les contractions de notre intestin ou encore les larmes… ce sont des activités réflexes indispensables à notre survie et qui rendent possible l’adaptation de notre organisme. On connaît depuis longtemps, avec le célèbre savant français Claude Bernard, l’existence de mécanismes régulant ce qu’il appelait à l’époque le milieu intérieur face à tous les changements que nous vivons, tant physiques que psychologiques, et qui permettent entre autre à notre cœur de s’adapter.

Mais alors notre cœur ne bat pas toujours au même rythme ?

Absolument...notre cœur même au repos ne bat pas toujours au même rythme. Parfois il s’ accélère et parfois il diminue sa fréquence, tout cela étant imperceptible pour nous car la différence est vraiment minime de l’ordre des millisecondes (c'est-à-dire de quelques millièmes de secondes). Mais il est possible de bien mesurer ces infimes écarts à partir d’un électrocardiogramme et d’un logiciel de traitement du signal cardiaque comme celui qui a été développé par des collègues ingénieurs chercheurs au CHRU de Lille. La variabilité du rythme cardiaque est donc sous la dépendance du système nerveux autonome et de ses deux branches que sont le système nerveux sympathique (système de l’action, de l’activité) et le système nerveux parasympathique (système du repos, de la restauration d’énergie). L’étude de la variabilité cardiaque va ainsi nous renseigner sur la flexibilité de ce système déterminante pour maintenir un bon équilibre et un bon état de santé.

La variabilité cardiaque permet donc de mesurer seulement le SNA ?

La variabilité du rythme cardiaque permet de comprendre et évaluer le système nerveux autonome et d’apprécier la balance des deux systèmes sympathiques et parasympathique. Autrefois, on tentait d’effectuer cette analyse à l’aide de dosages biologiques hormonaux. Ces dosages révélaient d’énormes fluctuations et ne donnaient qu’un reflet indirect et éloigné de la réalité. C’est la cas par exemple des dosages de l’adrénaline dans le sang ou du cortisol dans la salive… Un célèbre chercheur en neuroscience a qualifié de « poubelle du cerveau » tous ces dosages périphériques, reflet très imparfait de ce qui se passe au niveau du système nerveux central… Avec la variabilité de la fréquence cardiaque, nous disposons d’un indicateur simple et fiable, permettant d’avoir une mesure - non pas seulement de l’état du système nerveux autonome à un temps « T » - mais aussi des capacités d’adaptation de ce système toujours en mouvement.

La variabilité cardiaque est-elle aujourd’hui reconnue par les scientifiques ?

Oui, c’est une réelle avancée scientifique qui a été approuvée par la société américaine de rythmologie et la société européenne de cardiologie, lesquelles ont officialisé l’intérêt de la variabilité cardiaque comme un bon indicateur du fonctionnement du système nerveux autonome. Nous pouvons dire que si une diminution de la variabilité cardiaque est observée, alors le système nerveux autonome est moins flexible et risque de s’adapter moins bien à certains changements et stress. Au contraire, si la variabilité cardiaque est augmentée, le système nerveux autonome est plus flexible, plus adaptable, ce qui diminue les risques pour la santé.

Pourquoi le système nerveux autonome ne fonctionne pas toujours ?

Le système nerveux autonome est indispensable à la vie et il fonctionne chez tout être vivant mais chez certaines personnes et dans certaines circonstances - comme par exemple les maladies cardio-vasculaires - il peut être moins adaptable, plus rigide, et mettre notre santé en danger. C’est vrai pour tous les organismes mais d’autant plus chez les sujets vulnérables atteints de problème de santé ou soumis au stress.

Chez quelles personnes observe t-on ces dysfonctionnements ?

Nous disposons de beaucoup d’études scientifiques sur la variabilité cardiaque. Elles ont par exemple montré que, parmi des personnes présentant un problème coronarien ou des personnes ayant fait un infarctus, ceux présentant une faible variabilité cardiaque avaient un risque important de récidives et même de décès dus à des complications cardio-vasculaires. D’autres études ont aussi montré que des personnes diabétiques, hypertendues, asthmatiques ou encore atteintes de maladies inflammatoires ou douloureuses chroniques ainsi que de cancers, présentaient une diminution de la variabilité du rythme cardiaque et pour cette raison avaient un risque élevé pour leur santé.

Mais ce risque n’est-ce pas du au stress et à l’anxiété que ressentent beaucoup de malades ?

Vous avez raison, on sait que le stress, l’anxiété ainsi que la dépression aggravent le pronostic de pratiquement toutes les maladies. D’ailleurs, une diminution de la variabilité cardiaque - indépendamment de problèmes cardiaques ou d’autres problèmes médicaux – a également été mis en évidence comme on s’en doutait chez les personnes stressées (par exemple dans leur travail) mais aussi chez des personnes présentant un état d’anxiété chronique, une anxiété généralisée, des crises de panique ou un état de stress post traumatique.

Cela signifie que différents mécanismes déclencheurs sont en cause : des phénomènes de régulation réflexe au niveau du cœur entre la fréquence cardiaque, la respiration et la tension artérielle et ainsi que des mécanismes neurobiologiques du cerveau liés au stress et aux émotions que l’on connaît mieux aujourd’hui.

Peut-on agir concrètement pour améliorer sa variabilité cardiaque ?

Oui, c’est possible et assez simplement. Plusieurs études scientifiques ont aujourd’hui démontré que certaines techniques améliorent significativement et efficacement la variabilité de la fréquence cardiaque et donc, en conséquence, permettant d’améliorer l’état de santé des personnes et de prévenir les risques en les aidant à mieux faire face au stress.

Quelles sont ces techniques ?

Certaines techniques sont connues depuis très longtemps, comme par exemple l’effet de la respiration sur le cœur. L’entraînement régulier à une respiration lente, que l’on appelle le contrôle respiratoire, permet d’optimiser le réflexe – aussi appelé baro-réflexe en langage médical - qui relie la fréquence cardiaque, la respiration et la tension artérielle.

En quelques mots, au niveau de nos gros vaisseaux comme l’aorte et la carotide, il existe des récepteurs qui mesurent la tension artérielle et qui, en cas de diminution ou d’augmentation, déclenchent par l’intermédiaire de filets nerveux du système nerveux autonome une accélération ou une diminution de la fréquence cardiaque. C’est un phénomène régulateur que l’on peut optimiser en respirant à une fréquence de 6 cycles respiratoire par minute, soit un cycle complet d’inspiration et d’expiration toutes les 10 secondes. La personne inspire pendant 4,5 secondes et expire un temps un peu plus longtemps, 5,5 secondes. En respirant de cette façon, elle synchronise en quelque sorte la variabilité cardiaque avec la respiration ; on observe donc le phénomène de variabilité cardiaque dans un domaine de fréquence identique à la fréquence respiratoire. Cet état particulier est appelé le phénomène de résonance cardiaque ou cohérence cardiaque.

Mais comment peut-on faire en pratique ?

En pratique, nous n’avons pas accès directement à notre variabilité cardiaque mais c’est possible grâce à un appareil que l’on appelle le biofeedback de cohérence cardiaque.

Le biofeedback de cohérence cardiaque permet, grâce à un capteur miniaturisé du signal cardiaque et un logiciel installé sur un simple PC, d’avoir une mesure en direct de notre variabilité cardiaque dans un domaine de fréquences basses et qui nous renseigne sur l’action du baro-reflexe. En travaillant sur sa respiration, on peut donc augmenter sa cohérence cardiaque et voir directement les effets sur l’écran de son ordinateur par l’augmentation d’un pourcentage et d’une courbe. Les chercheurs de l’université de Lille ont défini un paramètre - le pourcentage de cohérence cardiaque ou indice PCC - qui va de 0% (chaos total) à 100% soit l’état de cohérence maximale. Dans ce cas la courbe devient parfaitement sinusoïdale avec des variations amples et périodiques.

Le biofeedback de cohérence cardiaque est-il utile ?

Des chercheurs russes qui travaillaient sur l’entraînement des cosmonautes et ainsi que des chercheurs américains, dont Paul Lehrer, ont montré qu’un entraînement régulier à la cohérence cardiaque augmentait nos capacités respiratoires et facilitait l’adaptation cardiovasculaire. Ceci confirme ce que l’on sait depuis des millénaires avec les effets bénéfiques du Yoga, de la méditation et de la respiration sur l’équilibre du corps et la relaxation. L’outil biofeedback de cohérence cardiaque offre donc une bonne porte d’entrée permettant de prendre conscience de ce qui se passe dans notre corps, en particulier de notre réponse physiologique au stress. Par ailleurs, l’entraînement va favoriser une meilleure adaptation cardio-respiratoire bénéfique à l’ensemble de notre organisme et de notre santé.

Ne pourrait-on pas se passer du biofeedback et seulement apprendre le contrôle respiratoire par soi-même ?

Le terme de biofeedback, inventé par Norbert Wiener père de la cybernétique, décrit la façon de bien commander un ensemble en le renseignant constamment sur les résultats de ses actions en cours ce qui va permettre, par l’entraînement, d’apprendre à modifier certains paramètres physiologiques.

Donc vous comprenez bien que la notion de feedback – le retour d’informations, le renseignement en temps réel sur le résultat de ses actions - est importante pour optimiser l’entraînement, pour mettre au mieux à profit le pouvoir de chacun de s'autoréguler et de se rééquilibrer constamment.

Maintenant, pour ce qui est de la cohérence cardiaque, basée sur le contrôle respiratoire à 6 cycles par minute, vous pouvez effectivement commencer à vous entraîner sans l’outil biofeedback, à l’aide d’un simple chronomètre ou en téléchargeant gratuitement par exemple le logiciel « La Plage », programme d’entraînement que nous avons développé.

Qu’en est-il du biofeedback de cohérence émotionnelle dont vous parlez dans vos ouvrages ?

Les équipes de Lille ont également mis au point un autre type de biofeedback que nous avons appelé biofeedback de cohérence émotionnelle en nous basant sur les travaux de deux psychologues et de l’ingénieur biomédical français Régis Logier.

De nombreuses études cliniques nous démontrent le lien existant entre dysfonctionnement du système nerveux autonome et régulation du stress, des émotions et de beaucoup de maladies physiques et psychiques.

Thayer et Lane, deux psychologues et physiologistes américains travaillant à l’université de Colombus dans l’Ohio, ont montré que la régulation de nos émotions est principalement sous le contrôle du système nerveux parasympathique aussi appelé tonus vagal, d’où l’intérêt plus spécifique d’analyser ce système parasympathique de façon très précise.

C’est justement le sens des innovations développées par Régis Logier et son équipe au sein de l’Institut de Technologie Médicale, laboratoire de recherche du CHR de Lille. Régis Logier, qui étudie la variabilité cardiaque depuis 20 ans, a réussi lors de ses travaux scientifiques sur la douleur à mesurer de façon nouvelle et très précise, le système parasympathique, recherche qui ont abouti au dépôt de 2 dispositifs brevetés intégrés à notre outil de biofeedback. En fait, à partir de la variabilité cardiaque dans un spectre de haute fréquence, Régis Logier a travaillé sur l’Arythmie sinusale respiratoire, activité qui est seulement sous la dépendance de la respiration et notion très importante sous contrôle exclusif du tonus vagal. Cette activité serait maximale si seule notre respiration faisait varier notre fréquence cardiaque mais en pratique ce n’est pas le cas puisque nous sommes soumis à de nombreux stress physiques et psychologiques ainsi qu’à des émotions qui perturbent cet équilibre. Nous avons montré qu’en améliorant l'indice de cohérence émotionnelle (Indice PCE) par notre solution de biofeedback, c'est-à-dire en rendant le tonus vagal plus réactif, on pouvait améliorer le pronostic de beaucoup de troubles psychologiques dus comme nous le savons à la difficulté à réguler les émotions.

Mais donc il n’est pas possible de soigner directement les maladies ?

Dans un sens c’est vrai, il s’agit d’une approche essentiellement préventive. Mais cette médecine préventive est la médecine de demain. La réduction des récidives de nombreuses affections chroniques est un enjeu important pour améliorer à la fois l’espérance de vie et le bien être des patients. Aucun traitement (même les médicaments ou la chirurgie) ne peut éliminer totalement le risque de maladie physique mais aussi d’anxiété et de dépression. Il faut donc essayer de réduire ces risques et nous connaissons tous les effets négatifs du stress sur la santé. Donc tout ce qui peut efficacement et significativement réduire les effets négatifs du stress constitue un apport important en terme de santé publique. On ne soigne pas seulement à court terme, on prévient sa santé et son bien être.

La pratique du biofeedback de cohérence émotionnelle est-elle la même que le biofeedback de cohérence cardiaque ?

L’appareil de biofeedback de cohérence émotionnelle est en apparence le même mais l’indice qui est mesuré – le pourcentage de cohérence émotionnelle ou indice PCE - est différent. On se situe dans les hautes fréquences du cycle de variabilité cardiaque et la résonance s’obtient plutôt à un cycle de respiration normale c'est-à-dire à partir de 9 cycles respiratoire par minute (et non à 6 cycles par minutes comme la cohérence cardiaque). Dans ces conditions, la respiration joue un rôle minime et, pour augmenter la cohérence émotionnelle et stimuler le tonus vagal, il faut se mettre dans un état d’équilibre en réduisant les stimulations tant extérieures qu’intérieures, physiques mais aussi mentales comme par exemple les pensées et les ruminations.

C’est une technique récente dans le champ des psychothérapies, à savoir la méditation de pleine conscience, qui m’a donné une clé importante pour comprendre comment améliorer le pourcentage de cohérence émotionnelle. Cette technique, aujourd’hui très utilisée et très étudiée, conduit à se recentrer sur le moment présent et ainsi d’être moins réceptif à tous les stress et de réguler son état émotionnel. Plusieurs études cliniques ont récemment montré que, par la méditation, on pouvait augmenter la variabilité de la fréquence cardiaque dans les hautes fréquences. On peut ainsi penser que cette technique de pleine conscience couplée au biofeedback de cohérence émotionnelle permettra d’apprendre à chacun à mieux réguler les émotions.

On parvient aussi facilement à réguler ses émotions par le biofeedback de cohérence émotionnelle ?

On ne parvient pas si facilement à réguler ses émotions et la pratique du biofeedback de cohérence émotionnelle ouvre d’autres approches que la méditation. Récemment, des psychologues appartenant au courant appelé « la 3è vague » des thérapies cognitives et comportementales ont remis l’émotion au cœur de beaucoup de problèmes psychologiques dont l’anxiété et la dépression. Ils ont montré que nous ne pouvons pas toujours améliorer nos états psychiques par le raisonnement. C’est par exemple en s’exposant à des situations stressantes que l’on pourra apprendre à moduler ses émotions alors que en temps normal nous avons plutôt tendance à les éviter. De nouveaux protocoles de thérapie centrée sur les émotions sont aujourd’hui proposés et en passe d’être validés. Je pense que le biofeedback de cohérence émotionnelle est un outil qui a sa place dans cette nouvelle façon d’aborder le stress, l’anxiété, la dépression et beaucoup d’autres problèmes de santé dont on sait qu’ils peuvent être aggravés par les émotions négatives mais aussi, dans certains cas, améliorer par les émotions positives. Des recherches sont actuellement en cours dans l’unité sur le stress et l’anxiété du CHU de Lille pour établir des protocoles permettant aux thérapeutes d’aborder avec leurs patients cette nouvelle approche qu’est le biofeedback de cohérence émotionnelle. Ce nouvel outil, par son accessibilité et son originalité, enrichit l’arsenal thérapeutique et constitue une véritable avancée. Le biofeedback de variabilité cardiaque s’inscrit en droite ligne dans l’approche thérapeutique nouvelle de la médecine des émotions que nous découvrons depuis quelques années en France et en Europe.